Publié par CEMO Centre - Paris
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Dr Abdelrahim Ali
Dr Abdelrahim Ali

Le revirement d’Erdogan… l’effondrement du rêve de l’entrée dans l’Union européenne

vendredi 08/novembre/2019 - 07:54
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La relation entre l’organisation des Frères et Ankara remonte au début des années soixante du siècle dernier, lorsque le cadre frériste turc et père spirituel des Frères de Turquie Necmettin Erbakan publia son Manifeste relatif à la fondation de la branche des Frères en Turquie, qu’il intitula Milli Görüs (la Vision nationale en turc). Dans ce manifeste, il a été influencé par le cadre égyptien des Frères Sayyed Qutb.

Tout de suite après ce manifeste, Erbakan fonde en Allemagne un mouvement qui porte le même nom, avant de devenir en 1995 « la société islamique Milli Görüs » (IGMG).

Puis le mouvement se répand dans toute l’Europe et crée des branches en Hollande, en Belgique, en France, en Autriche et au Royaume-Uni, et dans tous ces pays, il possède et contrôle des centaines de mosquées.

 

Les débuts d’Erdogan

En 1970, l’Assemblée mondiale de la jeunesse musulmane (WAMY) contrôlée par l’organisation des Frères organise le premier camp de jeunes au nord de Chypre.

L’un des responsables du WAMY était alors le membre égyptien des Frères Kamal al-Halabawi, qui supervisait également le camp de Chypre. Il rédigea un rapport secret sur le camp dans lequel il affirmait qu’il constatait chez deux jeunes Turcs une prédisposition au leadership : il s’agissait de Recep Tayyip Erdogan et Abdallah Gül.

 

Du mouvement au parti

Lorsqu’il fonda le mouvement Milli Görüs, Erbakan commença à préparer le terrain en Turquie pour la domination de l’islam politique : en 1970, il fonda le parti de l’Ordre national (MNP) qui ne tarda pas à être dissout en 1971. Il fonda alors son second parti en 1972 : le parti du Salut national qui fut également dissout en 1980 lorsque l’armée turque prit le pouvoir.

Mais Erbakan ne se découragea pas et fonda en 1983 un nouveau parti : le parti de la Prospérité (RF) qui fut interdit par la Haute Cour constitutionnelle de Turquie car il violait les articles de la constitution imposant la séparation de la religion et de l’Etat.

Et lorsque Erbakan, Erdogan et Gül se virent interdire la pratique de la politique, d’autres membres du parti de la Prospérité fondèrent le parti de la Vertu (FP) fin 1997, interdit lui aussi en 2001 par la Haute Cour constitutionnelle.

 

La rupture entre Erbakan et Erdogan

Lorsque Erbakan, Erdogan et Gül furent à nouveau autorisés à réintégrer la vie politique, on assista à une rupture claire entre la vieille garde dirigée par Erbakan et la nouvelle génération du mouvement représentée par Erdogan et Gül. C’est ainsi qu’Erbakan devint chef du parti de la Félicité en 2001, tandis qu’Erdogan et Gül fondèrent la même année le parti de la Justice et du développement.

 

Le Manifeste d’Erbakan

Erbakan mourut en 2011, mais nous pouvons affirmer que la pensée islamique consignée durant les années soixante du siècle dernier dans son Manifeste représente la base du parti de la Justice et du développement, fondé et présidé par la suite par Erdogan. C’est aussi la même idéologie adoptée par le mouvement islamique Milli Görüs, fondé en Europe mais qui s’est étendu aux Etats-Unis et en Australie.

Erdogan et Gül quittèrent cependant Milli Görüs suite aux conflits internes qui tournaient autour des gains matériels de ce mouvement en Europe. En effet, leurs revenus provenant du mouvement atteignirent un million d’euros par mois pour la seule Allemagne.

 

Erdogan le modéré d’alors

Dans un câble de l’ambassade américaine à Ankara en 2004, les membres du mouvement Milli Görüs étaient qualifiés de prétentieux et accusés de considérer le monde comme complotant contre l’islam.

Dans ce câble, l’ambassade indiquait que la branche de Milli Görüs dépendant du parti de la Justice et du développement était minoritaire et sans influence sans le parti, mais qu’elle continuait à être influente au niveau régional à l’intérieur de la Turquie. Cependant, les renseignements américains notaient que Abdallah Gül était proche de Milli Görüs par ses idées et son idéologie, alors qu’Erdogan était plus proche du centre.

 

Priorités d’Erdogan

L’une des priorités d’Erdogan était de faire entrer la Turquie dans l’Union européenne, et il déclara en 2004 dans un discours devant plus de 3 millions de Turcs que la Turquie faisait de fait partie de l’Europe, en indiquant que des estimations parlaient « alors » de 7 à 10 millions de Turcs vivant effectivement en Europe.

Et Erdogan commença alors à pousser la Turquie vers l’intérieur de l’Europe, et parallèlement, le commandant général des forces armées prit la décision de ne plus permettre l’ingérence des forces armées dans la politique turque, répétant cela dans un discours clair en 2002, affirmant : « il n’y aura plus de coup d’Etat militaire en Turquie, si c’est ce que veut l’Europe pour que nous intégrions l’Union européenne ».

Les militaires confirmaient alors à tous : « nous n’interviendrons plus dans la politique turque, en contrepartie de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, sinon les islamistes prendront le pouvoir », mais il semble que l’Europe et l’Amérique aient eu une autre opinion.

 

Erdogan et le grand revirement

Erdogan fit tomber son masque de modéré lorsqu’il vit qu’aucun dirigeant européen n’était convaincu par lui, et il opéra un virage à 180° en renonçant à ses principes de modération dont il faisait la propagande parmi les institutions européennes de prise de décisions. C’est ainsi qu’il révéla sa réalité de membre de l’organisation internationale des Frères – branche turque sous le nom de Milli Görüs.

Il provoqua alors un bouleversement à l’intérieur et à l’extérieur de la Turquie en 2007, en faisant du parti de la Justice et du développement le parti dirigeant et en devenant premier ministre, tandis qu’Abdallah Gül devenait président de la Turquie.

Il envoya des instructions nouvelles aux ambassades turques, leur demandant d’initier un processus d’islamisation des institutions turques, et à un niveau moindre, les membres de Milli Görüs obtinrent des fonctions quasi gouvernementales, et prirent le contrôle de sociétés en Occident comme la compagnie aérienne turque. Egalement, il demanda aux ambassades de coopérer avec Milli Görüs dans des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique ou la France. Cependant, certains ambassadeurs refusèrent ces orientations nouvelles et présentèrent leur démission, tandis que d’autres demandèrent le droit d’asile politique dans les pays où ils représentaient la Turquie.

Au niveau de la prédication, la Présidence des affaires religieuses (Diyanet) était le rempart contre l’islam politique à l’intérieur de la Turquie, mais depuis 2007, du fait de l’afflux important de membres du parti de la Justice et du développement et de Milli Görüs à l’intérieur de Diyanet, ses orientations furent bouleversées, et même le sermon du vendredi dans les mosquées contrôlées par Diyanet et dans celles contrôlées par Milli Görüs fut unifié. Et c’est ainsi que Diyanet devint l’instrument de base pour la domination des mosquées turques et des expatriés turcs par l’islam politique. Le seul problème était que les gouvernements occidentaux n’avaient pas de solution à ce problème, et même s’ils continuèrent à traiter avec Diyanet sans traiter avec Milli Görüs, le résultat fut le même, car il n’y avait plus de différence entre les deux institutions.

 

Les Frères égyptiens et la Turquie

Lorsque les Frères arrivèrent au pouvoir en Egypte suite aux événements de janvier 2011, nombre de parlementaires fréristes et de responsables gouvernementaux partirent en Turquie pour s’y former. Et le « Printemps arabe » donna à Erdogan l’espoir de voir la Turquie jouer un rôle important au Moyen-Orient. Il commença alors à faire d’Istanbul le phare de l’organisation internationale dans les divers pays du monde.

Il fonda alors nombre d’institutions dépendant de l’organisation internationale parmi lesquelles :

  • Le Centre européen de la fatwa et des recherches.
  • L’Union internationale des oulémas musulmans.
  • L’Union des organisations islamiques d’Europe.

Ces réunions tenues à Istanbul permirent à l’organisation internationale des Frères de jouir d’une grande liberté pour exprimer leurs idées, tandis qu’en Europe, de telles réunions étaient soumises à la surveillance des gouvernements. Ils n’étaient ainsi pas contraints de recourir au double langage dont ils avaient l’habitude en Europe.

D’autre part, Erdogan commença à mettre en œuvre son plan de domination de l’Egypte dans le cadre du grand califat, et les hommes d’affaires turcs affluèrent dans ce pays en espérant un avenir glorieux. Mais leurs espoirs furent déçus un an plus tard avec la révolution du 30 juin, lorsque l’armée égyptienne répondit aux demandes du peuple et que prit fin le gouvernement des Frères.

 

La Syrie, alternative à l’Egypte

Ensuite, la Turquie s’ingéra dans la crise syrienne, tentant de mettre le pied en Syrie après avoir perdu tout espoir concernant l’Egypte. En effet, les Frères syriens ont un siège à Istanbul et ils commencèrent à aider Erdogan à entrer en Syrie. C’est ainsi que certains cadres du groupe devinrent des chefs d’organisations terroristes à Hama, Alep ou Homs et organisèrent la réception d’armes achetées dans les Balkans. Notons aussi que les armes qui se trouvent en Libye sont entrées aussi à partir de la Turquie.

Erdogan a également transformé la Turquie en asile sûr pour les Frères égyptiens ayant fui l’Egypte après la chute de leur pouvoir, bien qu’ils aient un siège à Londres. Ainsi, la majorité d’entre eux partirent pour Istanbul où tout leur fut facilité pour créer nombre d’organes d’informations et de comptes sur les réseaux sociaux, qu’ils utilisent pour attaquer en permanence le régime égyptien, devenu l’obstacle numéro un à la réalisation du rêve d’Erdogan de domination de la région.

La Turquie est aussi devenue un lieu de rencontre des organisations dépendant de l’Organisation internationale des Frères, pour se coordonner et organiser l’invasion de l’Europe.

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